Tes yeux ont vu

de Jérôme Dubois

par François Poudevigne


(1) Qu’ont vu les yeux s’ils ont vu ? Ces yeux qui voient sont sans paupières comme la créature qui les porte est sans nombril. Comme une évidence cette chose — ce golem — existe d’abord est surtout par ses yeux : tout saisir qui s’offre au regard même et surtout l’insignifiance. Les cases se répètent qui montrent les mêmes forêts, les mêmes membres, les mêmes portes qui s’ouvrent et que l’on ferme, les mêmes portions du monde. Tout voir, quand bien même ce regard est stérile. Quand bien même ce regard est empêché par son environnement immédiat — bords, encoignures, bandelettes, maladresse. Un regard bègue.

(2) Deux motifs récurrents dans ce monde de spectres : la fumée qui masque et le miroir qui accroît.

(3) L’appareil photographique est aussi là qui reduplique ce regard sur le monde, qui vient lui donner une existence concrète (objective). Quand Emet meurt il ne reste de lui que ces vagues clichés brassés sur une table basse. Tout est informe et l’on devine en passant quelques bribes de séquences antérieures. Même sans y prêter une attention quelconque on note l’insignifiance des sujets, le bégaiement des prises de vue qui caractérisent son regard. Ces photos sont là pour confirmer ce que l’on savait du regard d’Emet et pour nous y associer. Car c’est lui qui finalement s’impose à nous et nous fait voir ce que ses yeux ont vu.

(4) Que voit-on quand on ne peut pas fermer les yeux sur le monde ? Comment faire que le monde s’arrête ?

(5) Ne reste que le rouge.