Nouveau

par L.L.de Mars

 

L’écueil de la pensée du nouveau lorsque sa catégorie est proposée depuis la collectivité, c’est qu’elle manque d’en faire l’épreuve singulièrement : en effet, replacée dans la perspective d’une théorie du sujet — c’est-à-dire, au fond, d’une théorie de l’art qui ne soit pas une théorie de l’Histoire de l’art — la question du nouveau n’est plus du tout celle des formes sensibles déjà socialisées (dont l’Histoire thématise la modernité) mais bien celle, plus aiguë et plus lucide, de cette inconnue qui est la condition même de toute création.

Un déplacement du jugement désangoisse sans doute de se tromper de nouveauté comme on se tromperait d’histoire et de points d’origines scalaires, mais il confronte à une difficulté plus grande : se perdre dans les points d’origine structurels ou vectoriels qui président à la création artistique. On risque alors de se tromper d’expertise en prenant les cadres immuables de la nouveauté pour objets, et de ne jamais y voir ce qui s’y bouleverse. Ce n’est pas l’histoire qui s’y retourne continuellement, mais la critique de l’histoire. Ce n’est pas la société qui y est défaite mais c’est l’endroit où elle change imperceptiblement de peau.

Penser le nouveau, alors, ce n’est plus faire l’inventaire de ce que l’on avait cru être les signes distinctifs de sujets recollectivisés par l’histoire, ce n’est plus séparer les signes usés des signes valides pour produire l’illusion de la modernité. Penser le nouveau dans ce paradigme, c’est-à-dire le penser comme manifestation de l’imprévisible sujet lui-même, c’est supposer, enfin, à la nouveauté d’être tout autre chose qu’une question d’historiens. C’est aussi la manière la plus sûre de révéler l’imposture qui consistait à déplacer les signes visibles d’une modernité dont on avait fait l’inventaire quelque part entre art et histoire en laissant imaginer qu’un dépaysement suffisait à revitaliser l’aventure moderne : le spectacle d’un vieux nouveau installé sur le trône bricolé d’un art qu’on croit assez distant pour rendre invisible le trucage, est le plus mauvais tour que l’on puisse jouer à l’invention, à l’art, au sujet. On n’en finirait pas de repérer, dans l’usage qu’en font les bandes dessinées, le pillage aussi méthodique qu’absurde des collections de signes mal vus dans des musées.