Le Déploiement

de Nick Sousanis

par L.L.de Mars

 

Dès les premières pages, l’auteur nous donne un petit aperçu du sérieux théorique qu’il faudra attendre de sa thèse (car ce livre, effectivement, est sa thèse*) : nous serions (enfin, je dis nous, pas vraiment nous. Un nous-sans-lui, un nous mais pas avec lui dedans nous, lui dont le mode opératoire exige que nous souscrivions à son détachement de nous, que nous concédions à la hauteur surplombante depuis laquelle, dans un horizon dégagé, lui a su s’extirper de la terrible routine où le monde entier patauge sauf lui, c’est-à-dire où nous pataugeons), nous serions, disais-je, « piégés dans nos langages ». Ah. Mais comment pourrions-nous être piégés « dans nos langages » ? Je veux dire : de quoi parle-t-il, l’animal, quand il parle de « langages » dans lesquels nous pourrions nous trouver piégés ? Nos formulations ? (ce qui ne signifie pas « nos langages ») Nos représentations ? (ce qui ne signifie pas « nos langages ») Nos cultures ? (ce qui ne signifie pas « nos langages ») Voire nos langues (vieille antienne barthesienne branlante, mais ce qui ne signifie toujours pas « nos langages ») ?

Effectivement, être piégés dans « nos langages », ça ne veut rien dire. Pas flou, pas approximatif, non non. Juste : rien. Les abeilles, qui ne parlent pas, sont peut-être construites, effectivement, par leur langage, dans cette acception latérale, éthologique — et au singulier — du mot « langage ». Mais « nous », il n’y a aucune chance.

De ces prémisses notionnelles vasouillardes (qu’il ne suffira pas de renvoyer une fois de plus à l’ambiguïté anglosaxonne du mot language pour en minimiser la nullité conceptuelle), il va falloir renseigner sur les conditions difficiles de l’invention de l’eau tiède : page 44, un soleil dissipe les nuages. Ce sont ceux de la peur de l’inconnu. Il les chasse et vient éclairer la page par les flammes de l’analyse. Renversant. Brusque retour de l’Emblème, rétropropulsion au XVIe siècle. En note, l’auteur, nous convainc du travail harassant qui conduit à ces lieux communs antiques : il met à contribution Horkheimer, Adorno, Condorcet, Wilson, pour cette seule page ébouriffante où les flammes de l’analyse chassent les nuages de la peur de l’inconnu.

La bibliographie générale de ce truc ni fait ni à faire me laisse un moment perplexe... Mais comment lit-il ? Comment peut-il, dans le même bouquin, par exemple, se réclamer de Deleuze et de Goodman sans se fendre en deux de haut en bas ? Il les lit comment, exactement, pour rendre cette cohabitation fonctionnelle ? C’est publié par Actes Sud - L’An 2, c’est-à-dire par T. Groesteen. C’est postfacé par Smolderen. Ils sont visiblement très contents.

Attention lien pour astérisque (thèse Sousanis)