De Tout Bois
du collectif des éditions Adverse
par Julien Meunier
Je surveille de plus en plus sérieusement le rapport que j’entretiens avec l’objet livre. Il y a une menace, quelque chose qui m’inquiète parfois lorsque je vibre au simple fait de tenir un livre entre les mains et que je me mets à le soupeser, à inspecter la reliure, à admirer la qualité d’impression. Parfois, il se passe comme une sorte d’équilibre parfait entre la taille du livre, sa manière de s’ouvrir et comment se comportent les pages. En fonction du format, je suis attentif à combien il est sobre, ou pratique, ou luxueux ; j’observe si tout ça est cohérent, raisonnable ou aventureux. Et parfois c’est comme une évidence, ce livre est bien pensé, le projet éditorial qui l’a fait naître est parfait, l’objet est beau dans toutes ses dimensions et je l’aime déjà, quel que soit ce qu’il contient. C’est là que je m’angoisse parfois, je sens poindre les débuts d’un rapport fétichiste, un amour du contenant quel que soit le contenu.
Pourtant il y a autre chose, il me semble qu’en bande dessinée c’est un peu différent.
Ainsi devant l’incroyable livre collectif De Tout Bois édité par les éditions Adverse (1), je me suis rappelé un problème que nous nous étions posé en filmant la bande dessinée pour le film Découverte d’un Principe en Case 3 (2). Filmée de trop près, on n’en voyait que le dessin. Filmée de trop loin, c’était un portrait d’auteur.
Plus tard, cette intuition : la bande dessinée c’est ce qu’il reste quand on enlève le dessin et le scénario (3). Restent alors le rythme, l’articulation, l’agencement. Et c’est quelque chose que l’on perçoit souvent très bien quand on regarde rapidement un livre de bande dessinée (feuilleter Yokoyama ou Lucas Méthé par exemple sont deux expériences très différentes). La juste distance, ce serait le feuilletage.
C’est ce que je me disais en parcourant les pages de De Tout Bois. L’édition spectaculaire et ambitieuse m’invite à jouir du seul survol des planches comme autant de promesses des merveilles à venir.
En faisant défiler alors les pages, apparaissent à la volée les différentes propositions graphiques, les choix de découpage, les différents rythmes, et c’est quelque chose de la bande dessinée qui nous arrive tout de même. Et dans l’intelligence des choix des auteurs réunis, leur agencement, et la grande variété des solutions éditoriales proposées, c’est déjà un plaisir de lecture particulier. On passe d’un moment très dense à de grandes pages aérées, des endroits avec beaucoup de textes nous annoncent un rythme de lecture plus lent, puis quelques pages aux traits simples nous font deviner une lecture plus rapide. Ici un petit livre est inséré et c’est un autre temps qui s’impose, ailleurs un cahier entier au format différent s’avance comme un lieu parallèle. Dans ce talent à articuler des propositions plastiques et des rythmes différents entre eux, je perçois tout un travail sur les espaces et les temporalités, sur l’articulation des vitesses et des topographies entre elles. Alors, en feuilletant De Tout Bois, je perçois combien le travail d’éditeur peut être déjà et en soi de la bande dessinée.