La Danse du dormeur
de Maurice Henry
par Alexandra Achard
La nuit on rêve, le corps s’évapore et la plume, mécanique, diffuse les bribes des mouvements du corps en suspens. En 1948, Maurice Henry a justement saisi ce glissement : de ce que l’on connaît à ce que l’on croit être, parfaitement limité par ce que notre corps tait d’automatismes. Dans ce sillon, les pages d’artistes aux antipodes se remplissent d’infinies variations du poignet, propres au geste de la trace. Comme la quête d’un ailleurs où nous serions entiers, pleinement nous, la répétition ouvre une brèche surprenante : cet extérieur inconscient ne pourrait mener qu’à l’abstraction de notre conscience. Ainsi, la manipulation tend à l’abstraction de la forme comme preuve de son lâcher prise, la tache flirte avec le minéral pour assurer la tentative et la lettre se tord jusqu’à ne plus être que ductus.
Comme ce dernier, M. Duseigneur exploite la fascinante mutation cyclique de la forme, qui retrouve dans l’exercice son point de départ, opérant une chute perpétuelle. F. Henninger s’astreint à ce qui pourrait tout autant être des lignes que des émoticônes ou des lettres d’écolier. Perdu dans sa réalité et se faisant surprendre par la fiction du monde qui l’entoure, se dessine sous ses mains ce voyage diurne si proche de la Danse du dormeur. Comme une artificialisation du laisser-aller à produire l’attendu.
À
l’inverse de G. Ligon qui saisit les états sensitifs et
successifs de son acte créatif par la sélection
improbable de La variation, ceux-là restent conscients du
mouvement de leur corps sans le conditionner. Et, en écho à
A. Malik, ce qui doit être,
peut ne pas l’être, tant qu’il est.
Dans un mouvement identique, ces propositions nous obligent à
combattre notre Vouloir
Voir,
noyé dans la lisibilité de l’illisible, confronté
à un processus d’écriture aux « signes qui
ne se répètent jamais ». Désorienté.
À la frontière entre l’écrit et l’image, si la succession des lignes, pourtant si concrètes, se dérobe au sens auquel nous la limitons, la narration se projette et n’attend que la rupture de nos représentations préconçues. L’attendu peut pourtant être fracturé par la contrainte de la signification. Y. de Roeck ouvre les portes de l’anamorphotique et par stimuli de l’œil, l’indice référent est supplanté par la métamorphose. Au jeu de la ressemblance, le mimétisme l’emporte souvent sur la mimèsis. Elle danse, lui dort.