Big Kids
de Michael DeForge
par Julien Meunier
Chez Michael DeForge, les visages me stressent. Deux points et un trait suffisent à donner des qualités humaines à n’importe quelle forme. Dans Big Kids, les personnages tendent vers la racine ou la brindille, des formes longilignes et dégingandées qui n’auraient rien de figuratives si elles n’avaient pas à leur sommet quelque chose d’un visage esquissé et minimal. Il y a un rapport inconfortable au corps qui se met en place, il est trop fin, trop éclaté, c’est plus un réseau qu’un corps et ça crée une crise de la représentation où le lecteur doit sans cesse tirer l’image vers le figuratif pour que le récit ne s’écroule pas. Ces corps sont malingres, doux et déprimés, et une grande mélancolie émane de ces personnages constamment sur la brèche de l’abstraction.
Ainsi, une double page vers la fin du récit montre un personnage regarder une ancienne représentation de lui-même : une tête, des bras, un torse, des cheveux, des vêtements, alors que maintenant son corps est principalement une tige qui se termine en une sorte de cacahuète tordue, deux points et un trait en guise de visage. Le personnage pleure sur ce corps clairement figuré désormais perdu.
La force du dessin de DeForge est peut-être là aussi, car si les corps et les visages sont à peine eux-mêmes, les larmes non plus. Alors des traits hérissés d’étoiles sortent en bouquet des yeux, l’air se remplit de vibrations, les cases se noient dans une douleur en forme de surface rouge ondulante, puis les traits et le rouge partent en explosion vers le ciel et remplissent le monde d’une tristesse en myriades de fusées.