Tellement bédé

par Julien Meunier

Je suis allé plusieurs fois au salon SOBD (Salon des Ouvrages sur la Bande Dessinée). J’y ai appris une chose importante, c’est que les écrits sur la bande dessinée sont tristes à mourir. Au-delà des maisons d’édition qui tiennent quelques tables intéressantes, on y trouve surtout une grande table réunissant la majorité des livres et des revues qui traitent de la bande dessinée.

C’est quelque chose de faire l’expérience de parcourir des yeux cette table qui réunit principalement des livres sur Tintin/Hergé et Spirou/Franquin.

La couleur chez Hergé, la vie d’Hergé, Tintin et l’Histoire, Hergé et Baudelaire, les femmes chez Tintin, le journal de Tintin, la politique chez Tintin, les avions chez Tintin, etc. Quasi la même avec Franquin, et puis du Peyo et du Jacobs, quelques américains (Stan Lee, Kirby et Eisner par exemple) et en gros voilà ce qui intéresse, ce qu’il y aurait à dire sur la bande dessinée de ses débuts à aujourd’hui. La « bande dessinée franco-belge » comme une mélasse tiède, familière et dégoûtante, qui englue tout.

Dans ce salon il y a aussi des conférences. Ce jour-là : « Pour en finir avec Tintin ». J’ai peu d’espoir.

Et effectivement, on n’en finit avec rien du tout. À un moment, l’animateur avance : « En fait Tintin c’est l’essence de la bande dessinée, son commencement et son horizon ».

En sortant, j’entends deux personnes adultes discuter des mérites comparés de Gil Jourdan et des Tuniques Bleues.

J’ai eu une sorte de vertige, le sentiment que le temps n’existait pas, que ces deux-là avaient cette conversation depuis la nuit des temps et pour toujours. Des auteurs dédicacent à leur table depuis une éternité. « Et vous utilisez quelle plume pour vos dessins ? » D’autres discutent boulot entre eux, immortels. « Je bosse aussi comme web designer pour gagner de l’argent. » Et les visiteurs, depuis toujours et pour toujours dans les travées du salon, en t-shirt marsupilami, fantasment leur enfance comme le commencement et l’horizon de l’intensité de leur vie.

Quand je me suis rendu compte que ce court moment de délire triste avait été provoqué par le salon qui concentre la production intellectuelle et les écritures savantes sur la bande dessinée, je me suis rappelé qu’au même moment, le Centre Pompidou faisait une exposition sur Gaston, et que l’œuvre d’Hergé était exposée au Grand Palais.